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Des feux jaunes et des soleils brûlants

À l’intersection près de mon lieu de tra­vail, les pié­tons doivent attendre le signal blanc du pas­sage à pié­tons. Les voi­tures, entre­temps, tournent avec la liber­té que leur pro­cure le feu vert. Quand celui-ci vire au jaune, les pié­tons retiennent leur souffle. Cer­tains posent déjà le pied dans la rue, mais bien mal leur en pre­nait d’aller trop vite, car les auto­mo­bi­listes, eux, ne ralen­tissent pas. Alors que fina­le­ment le feu devient rouge, il n’est pas rare de voir encore des gens pres­sés appuyer sur l’accélérateur afin de ne pas rater le virage.

C’est tou­jours la même chose, en fait. Il y a sans cesse des gens qui trans­gressent les lois, qui en font un petit peu plus, tentent leur chance, fai­sant fi des règles élé­men­taires de prudence.

J’ai appris à ne pas me fier à la per­mis­sion que le bon­homme blanc illu­mi­né me donne pour tra­ver­ser la rue. J’attends encore quelques secondes, m’assurant que les arché­types humains, der­rière leur volant, ont com­pris le message.

Est-ce bien dif­fé­rent de tout ce qui se passe sur la Terre ? Le chan­ge­ment cli­ma­tique est déjà pas­sé au jaune ? Qu’à cela ne tienne, on alour­dit le pied. On prend du poids ? Peut-être après ce repas bien gras pen­se­rons-nous ces­ser de nous empif­frer ? Et ce virus qui nous frôle et nous pro­cure des sueurs froides ? Pour­quoi ne pas attendre encore un petit peu, ten­ter notre chance, s’amuser avec les espoirs que le Diable nous souffle dans les oreilles ?

Il sera tou­jours trop tard, un jour, mais notre espèce fera comme elle fait depuis que la Nature l’a dotée d’un désir de conquête et d’aventure inexo­rable. La lumière jaune ne nous a jamais vrai­ment fait peur. Peut-être per­met-elle aux plus sages ou peu­reux de sur­vivre, mais la gloire est l’apanage des témé­raires. C’en est presque ins­crit dans notre ADN.

Tout de même. Est-ce vrai­ment néces­saire de s’enorgueillir de notre ado­les­cence éter­nelle ? La ques­tion est dif­fi­cile. Je com­prends l’aventure, l’insistance de vivre. Nous sommes, après tout, que des Icare naïfs. Les poètes chantent depuis des lustres ce des­tin tra­gique de la lumière noire nous brû­lant les ailes.

Un peu plus, je me ferais l’apôtre de toutes les trans­gres­sions. Notre liber­té se bâtit pour­tant en conso­li­dant la vie autour de nous. Il y a de moyen de chan­ter sans cas­ser les oreilles, il y a lieu d’aimer sans devoir haïr, de pen­ser aux autres, car les autres pen­se­ront bien à nous aus­si. On peut dan­ser en appre­nant à le faire, en évi­tant le plus pos­sible les bles­sures. On peut s’approcher des soleils en se pro­té­geant les yeux.

Les imbé­ciles témé­raires demeurent évi­dem­ment des imbé­ciles. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Res­pi­rer un air plus vaste ne leur vient pas à l’idée. Ils sont des aveugles s’amusant à déri­ver comme des ivrognes déles­tés de leurs inhibitions.

Suis-je sage ou peu­reux ? Je peux com­prendre Pla­ton qui dési­rait faire des phi­lo­sophes les gar­diens du royaume. L’histoire nous a mon­tré qu’il s’agissait là d’une illu­sion. Même si les sages se met­taient en colère plus sou­vent, ils ne ces­se­ront de se culpa­bi­li­ser de vou­loir impo­ser leurs cer­ti­tudes. Il n’est en effet pas rare qu’eux aus­si soient pres­sés de pas­ser à autre chose.

Je m’en remets à la Réa­li­té, car elle est éter­nelle et son indif­fé­rence est à la mesure de notre insou­cience. Moi, assis sur le plan­cher de l’univers, j’ouvre les yeux vers les étoiles. Y a‑t-il quelque part, près d’une étoile virée au rouge, des êtres intel­li­gents qui conti­nuent de se moquer de la cou­leur de leur soleil ?

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Commentaires

  • Donald Lévesque

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    Tu écris toujours aussi bien. Content de lire que tu vas bien. Bonne journée Guy !

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